Que dit (et oublie de dire) le rapport du HCERES sur la sortie de l'expérimentation "EPE" UGA ?
Par FSU-Univ-Grenoble le mercredi 7 juin 2023, 11:48 - Université Grenoble-Alpes - Lien permanent
Edito:
L’UGA souhaitait une sortie rapide de l’expérimentation au sein de l’EPE, et un passage au statut de Grand Etablissement. Le HCERES a accordé un blanc-seing qui va précipiter la démarche dans les semaines à venir. Les personnels en sont-ils gagnants ? Tout montre que ce processus leur échappe, coincés qu’ils sont entre un cadrage gouvernemental purement libéral, une présidence qui joue les bons élèves et un HCERES qui est un précepteur exigeant au service de ce projet libéral. Donnons-nous les moyens de reprendre la main sur notre université !
Le bureau de la FSU Campus Grenoble
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Alors que le HCERES a rendu son rapport sur la sortie de l'expérimentation et la transformation de l' "établissement public expérimental" (EPE) UGA en "grand établissement" UGA, le président de l'UGA se vante, dans un message adressé à tous les personnels le 25 mai, d'un avis "unanimement positif" du HCERES et convoque tour à tour les instances dans l'intention de conclure le processus le plus vite possible. Pourtant, le rapport souligne de nombreux problèmes et en particulier, l'absence d'un CSA commun à tout le "grand établissement", qui a été demandé par l'ensemble des organisations syndicales, depuis la création de l'EPE, et rappelé par tous lors des auditions avec le jury HCERES.
Malgré cela, les présidences de l'UGA, de l'INP-G, de l'IEP Grenoble et de l'ENSAG n'ont pas saisi l'opportunité de convoquer ensemble les différents CSA des établissements afin de rendre ensemble un avis sur cette sortie d'expérimentation et sur les statuts du "grand établissement" à venir.
Ce "saucissonnage" des convocations permet aux présidences d'éviter toutes les modifications des textes proposées par les organisations syndicales. Lors de la dernière réunion du 30 mai avec les organisations syndicales, les présidents ont refusé, avec force, la création d'un CSA commun et cette possibilité ne figure pas dans les projets de statuts soumis aux votes des instances ainsi qu'au ministère.
Lors des auditions, nous avions alerté le HCERES sur plusieurs points importants au sujet de la demande de sortie de l’expérimentation (voir le détail des 7 observations remises en séance ici) :
1) Cette demande ne présentait pas de caractère d’urgence ;
2) Cette demande est prématurée ;
3) Cette demande reste floue sur la finalisation des statuts ;
4) Cette demande se fait dans une situation financière difficile ;
5) Le document d’auto-évaluation est insincère sur la question de la déontologie ;
6) Cette demande se fait sans avoir pris le temps de consulter directement les personnels sur l’EPE ;
7) L’intégration des personnels de Polytech et de l’IAE à l'INP n'est pas prête.
Le HCERES nous a écoutés poliment, mais n’a guère tenu compte de nos observations.
Il considère que « le projet de statuts proposé par l’UGA pour ce Grand Établissement est bien adapté à cette transformation ». Pourtant, le HCERES formule lui-même des observations critiques qui confirment notre diagnostic sur le déséquilibre apporté par la coexistence des Composantes Avec Personnalité Morale (CAPM) et des Composantes Sans Personnalité Morale (CSPM), et sur l’urgence de traiter ce point dans les statuts :
- Page 8 : « Il ressort des entretiens sur place qu’une plus grande homologie structurelle entre ces entités est souhaitée et probablement souhaitable dans la consolidation de l’édifice global. L’article 7 du projet des statuts d’un éventuel futur Grand Établissement mériterait à ce titre d’être davantage anticipé ».
- Page 13 : « Subsiste encore un CSA par établissement doté de la personnalité morale, mais aucun n’est prévu pour les CSPM. La mise en place de la conférence sociale, au niveau de l’EPE, est certes un lieu de dialogue important, portant notamment les sujets de RH, mais elle ne peut pas se substituer à un CSA unique qui couvrirait l’ensemble de l’établissement. Sans que ce soit une priorité absolue, le comité souligne l’intérêt que pourrait présenter l’engagement de l’EPE sur la voie d’un CSA unique qui concrétiserait la construction d’un Grand Établissement ».
- Page 29 : « l’opérationnalité des CSPM n'apparaît pas encore suffisamment et cela risque à terme de déséquilibrer l'ensemble ».
- Page 29 : « La « Conférence sociale » qui actuellement rassemble les conseils sociaux des différentes composantes est interrogée dans sa capacité à devenir une instance de dialogue social commune à toutes les composantes de l'établissement, établissements ou composantes académiques. Ce point qui préoccupe les partenaires sociaux devra être traité rapidement ».
Mais le HCERES n’en tire pas la conclusion logique, qui aurait été de prendre le temps de modifier les statuts. S’abstenant de répondre sur notre observation au sujet de l’absence d’urgence de sortie de l’expérimentation, le HCERES choisit de faire confiance à l’avenir, sans exiger la moindre garantie : « page 8 : Mais on peut admettre une construction progressive [des statuts] que la sortie du statut expérimental peut accélérer ».
Le rapport du HCERES ne mentionne absolument pas les difficultés budgétaires liées à la non prise en compte par le MESR du GVT, ni la politique de diminution du nombre de titulaires et de recrutement de contractuels (à travers le non-remplacement pendant deux années des départs à la retraite et les suppressions d'emplois) qui accompagne la « trajectoire financière ». A contrario, le rapport fait la mention, lourde de sens, d’une « évolution substantielle, de l’ordre de 40 % entre 2020 et 2022, des ressources propres, alors que la subvention de charges pour services publics a augmenté d’environ 2,5 %. S’ensuit une prise de position très claire du comité HCERES : « C’est un résultat très honorable et l’UGA doit maintenir ses efforts sur le sujet. On notera toutefois que cet accroissement des ressources propres paraît dû aux moyens nouveaux tirés des activités de recherche ou de valorisation, bien plus qu’aux activités de formation. En ce sens, un effort sensible en matière de formation continue et tout au long de la vie est à recommander à l’UGA, d’autant qu’elle pourrait s’appuyer pour cela non seulement sur ses liens étroits avec les milieux socio-économiques régionaux, mais également sur son rayonnement national et international, notamment en matière d’ingénierie ». Donc, clairement, c’est à l’UGA de faire rentrer dans les caisses ce que le Ministère ne met pas.
Le HCERES reste totalement silencieux sur l’insincérité manifeste du document d’auto-évaluation sur le point de la déontologie. On peut donc, sans déclencher la moindre réaction du HCERES, manquer à la déontologie au point d’être condamné par un tribunal, refuser sans la moindre explication de mettre en œuvre les recommandations des plus hautes instances déontologiques et « oublier » de mentionner ces dysfonctionnements dans plusieurs documents d’auto-évaluation. On peut aussi refuser de discuter de la proposition d'administrateurs élus de modifier l'article des statuts sur la déontologie. Or, la preuve de l’incapacité de l'article actuel à prévenir des manquements sérieux à la déontologie a été apportée par les décisions d’un tribunal et de trois instances déontologiques. Manifestement, le HCERES ne prend pas au sérieux son propre référentiel, qui prévoyait que l’établissement ait « identifié les éventuels dysfonctionnements » et « remédié à ces dysfonctionnements ou identifié les améliorations nécessaires », ce que l’UGA n’a pas fait. Dès lors, pourquoi l’ensemble de l’évaluation de l’UGA par le HCERES devrait-il être pris au sérieux ?
Le HCERES se contente d’une phrase sur la situation des personnels de Polytech et de l’IAE : page 19 « Les interlocuteurs du comité ont tous fait part de leur satisfaction devant la façon dont est mené le dialogue social, même s’ils ont parfois insisté sur la charge de travail très lourde qu’imposait la construction de l’EPE et l’incertitude dans laquelle certains pouvaient se trouver, avec des échéances importantes, notamment pour les personnels de Polytech et de l’IAE censés changer potentiellement d’employeur ». Cette phrase nous a choqués, d’abord parce qu’elle est inexacte. Nous avons très clairement indiqué à nos interlocuteurs notre grande insatisfaction au sujet du dialogue social. Mais il est également choquant de voir qu’aucune attention n’est portée à la situation des personnels de Polytech et de l’IAE, que nous dénoncions dans notre observation n° 7, sur l'impréparation de leur intégration à l'INP.
Le HCERES fait une mention appuyée sur le « système de marques » de l’UGA : les marques, empilées, de l’établissement UGA lui-même, et de ses composantes – à personnalité morale, bien sûr (CAPM). La notion de « marques » vient bien entendu du système marchand, signes qui assurent la propriété d’un produit, et son caractère distinctif – et donc plus facile à vendre. Apprécions comme il se doit l’importance de ce caractère éminemment marchand dans la logique fondatrice de notre université futur « grand établissement » et dans sa reconnaissance dans le rapport de l’HCERES.
Enfin, les phrases suivantes, page 13 du rapport, nous ont fait sursauter : « Les interlocuteurs du comité ont largement fait part de leur satisfaction de ce fonctionnement qui permet, même dans un établissement de cette taille, de conserver un lien étroit avec les personnels « de base ». La volonté d’associer systématiquement, dans tous les domaines, des représentants des personnels en lien avec l’équipe présidentielle témoigne d’une réelle prise en compte d’un fonctionnement démocratique ». Ces phrases sont tout simplement factuellement inexactes, car nous avons bien au contraire souligné la très grande difficulté, pour ne pas dire l’impossibilité, d’un dialogue réellement démocratique au sein des instances de l’UGA. Par exemple, nous avions proposé des modifications des statuts le 14 novembre 2022. En plus de 6 mois, il n'a pas été possible d'avoir une discussion sur ces propositions, et les statuts inclus dans le projet de décret n'en tiennent absolument aucun compte. Nous avions d’ailleurs spécifiquement, dans la 6ème de nos observations écrites remises au comité de visite, rappelé que les personnels de l’EPE n’avaient pas été réellement consultés sur la sortie de l’expérimentation. On ne peut que regretter cette « surdité sélective » du HCERES, dont on peut craindre qu’elle ne dévoile un parti pris a priori dans ce dossier. Par ailleurs, la formulation « personnel « de base » » prêterait à sourire par son paternalisme si elle ne révélait une réalité bien tangible et vécue régulièrement au jour le jour, dans la manière dont les équipes dirigeantes de l’UGA (et donc aussi, manifestement, du HCERES) considèrent les personnels de l’UGA.
En conclusion, le HCERES produit un rapport dithyrambique, cf. par exemple page 27 : « l’EPE a permis de rendre crédible sur le plan organisationnel et opérationnel l’ambition stratégique d’installer durablement une université d’excellence d’envergure internationale, solidement liée aux organismes nationaux de recherche, et en même temps ancrée dans son territoire à plusieurs échelles ». Cette conclusion surprend, après le constat, page 9, de la difficulté à isoler la réelle plus-value du statut d’EPE, qui a « une belle trajectoire, mais dans laquelle, faute d’outils adéquats, il n’est pas simple de faire le départ entre ce qui relève de l’expérimentation et ce qui l’a précédée ». Le HCERES enfonce le clou : « Il découle immédiatement du court calendrier d’expérimentation qu’il n’est guère aisé de distinguer ce qui était déjà en route, avant l’EPE, dans la trajectoire parcourue au cours de la période d’expérimentation » ; « Le manque d’indicateurs de suivi, de pilotage ou de prospective, déjà souligné en 2020 par le rapport Hcéres sur l’UGA et non encore corrigé, apparaît comme un handicap important » ; « L’EPE ne dispose au mieux que d’une appréciation très partielle de la valeur ajoutée apportée par cette expérimentation ». Comment concilier ce constat réaliste et évident avec la conclusion catégorique sur l’apport de l’EPE salué par le HCERES ? Là encore, l’analyse du HCERES ne peut que sembler particulièrement légère et peu équilibrée.
Donc le corps du rapport confirme sur plusieurs points notre analyse sur le caractère non finalisé de la période expérimentale, sur le caractère précipité de la sortie de l’expérimentation et sur l’absence d’arguments pour justifier l’urgence de la sortie de cette période. Le HCERES n’en tire malheureusement pas la conclusion qui s’imposerait : prendre le temps nécessaire pour traiter correctement tous ces points. Sa crédibilité n'en sort pas renforcée.