Une loi mise en œuvre avant d’être votée

Rappelons que la mise en place du dispositif ParcourSup, central dans la loi relative à l'orientation et à la réussite des étudiants (ORE) a précédé de trois mois le vote de la loi au parlement (le 8 mars 2018). Ainsi, par exemple, le ministère a demandé aux universités les remontées d’informations sur les capacités d’accueil des Licences et les attendus pour le début janvier, la plateforme ParcourSup, étant, elle, ouverte aux lycéens le 15 janvier ! Quant à la délibération de la CNIL relative à l’utilisation de données à caractère personnel dans Parcoursup, elle est parue au Journal Officiel du 29 mars, alors même que les lycéens devaient formuler leur vœux avant le 22 mars et avaient jusqu’au 31 mars pour compléter leurs dossiers et confirmer leurs demandes !

Un projet de loi pas ou peu soutenu par les instances consultatives

Dans les instances nationales consultatives, le soutien à la loi ORE et à la procédure ParcourSup a été plus que limité : Le 5 mars 2018, le Conseil Supérieur de l’Education (CSE), instance consultative du ministère de l’Education Nationale, a rejeté en bloc le projet de décret relatif à la procédure nationale Parcoursup, avec 0 voix pour, 36 voix contre. Le 6 mars 2018, le Conseil National de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (CNESER), a validé tout juste la loi ORE avec 34 voix pour – SGEN-CFDT, UNSA, CFE-CGC, FAGE, CPU, MEDEF – 29 voix contre – SNESUP-FSU, SNASUB-FSU, SNCS-FSU, FO, UNEF, CGT, Parole Etudiante, SUD education, SUD Recherche EPST – et 2 abstentions. Un calendrier précipité, puis très en retard sur la rentrée universitaire

  • 15 janvier : ouverture de la plateforme ParcourSup
  • 22 janvier au 13 mars : formulation par les lycéens de 10 vœux (20 sous-voeux), non classés
  • Jusqu’au 31 mars inclus : constitution des dossiers, confirmation des vœux
  • du 4 avril au 22 mai : examen et classement des dossiers par les établissements
  • du 22 mai au 5 septembre 2018 : accès des lycéens aux décisions des établissements (oui, oui si, non, en attente) et réponses des lycéens à ces propositions (suspension pendant la durée des épreuves écrites du baccalauréat)
  • 26 juin 2018 : ouverture de la phase complémentaire

Une communication ministérielle alléchante …

Les points forts de ParcourSup selon promoteurs (https://www.parcoursup.fr/):

  • une procédure simple, transparente et juste
  • un accompagnement assuré pour comprendre les enjeux
  • des informations sur les caractéristiques de chaque formation (attendus, taux de réussite, débouchés, …)
  • pas de classement des vœux
  • des possibilités de vœux multiples
  • des propositions personnalisées adaptées au profil du candidat
  • pas d’affectation par tirage au sort

… qui n’a que peu à voir avec la réalité

Vue des lycéens

  • Une procédure simple ? Certainement pas. Par rapport à APB, ParcourSup généralise la procédure qui prévalait pour les filières sélectives à toutes les filières, en particulier les « projets de formation motivés » (un projet différent par vœu ou par sous-vœu).
  • Une procédure transparente ? C’est tout le contraire !

- La fiche avenir (contenant les avis des établissements d’origine des candidats) ne sera visible par les candidats que le 22 mai, c’est-à-dire au moment des résultats.

- Parcoursup ne parle aux candidats que de la réponse des établissements (« oui », « oui si », « en attente » pour les filières non sélectives, « oui », « non », « en attente » pour les filières sélectives), jamais du fait que les candidats seront classés entre eux. On est en réalité dans une logique de concours qui ne dit pas son nom, car les candidats ne sont pas conscients qu’ils vont être classés entre eux. Ceux qui auront comme réponse « en attente » ne sauront d’ailleurs jamais où ils se trouvent dans la liste d’attente, donc s’ils ont des chances d’être appelés rapidement ou jamais. En outre, les candidats recevront les réponses au fur et à mesure, ce qui risque fort de les induire à choisir dès les premières réponses positives reçues, même si elles ne correspondent pas à leur choix préférentiels, de crainte de ne pas recevoir d’autres réponses positives.

- la commission nationale informatique et libertés « regrette que le ministère n'ait pas prévu, au sein de la plateforme Parcoursup, une information préalable spécifique des personnes concernées sur le fait qu'un algorithme d'affectation est utilisé. Elle estime qu'une telle information serait de nature à renforcer les garanties mises en œuvre dans le cadre de l'utilisation d'un traitement algorithmique fondant une décision individuelle. » « Elle rappelle en outre que les établissements d'enseignement supérieur qui recourraient à un traitement algorithmique pour examiner les candidatures qui leur sont soumises devront également fournir l'ensemble des éléments permettant de comprendre la logique qui sous-¬tend cet algorithme. »

  • Un accompagnement assuré pour comprendre les enjeux ?

En effet, les candidats pourront donner à ParcourSup les adresses mails de leurs professeurs principaux pour que ceux-ci puissent suivre les alertes de leurs élèves … du 22 mai à la rentrée de septembre. Les collègues du secondaire apprécieront ! Voici qui va certainement susciter des vocations pour être professeur principal de terminale, alors que certains lycées n’ont pas toujours réussi à trouver deux professeurs principaux par classe de terminale comme demandé par le ministère … et côté université, comment sera-t-il possible de gérer les mises en groupes, les emplois du temps, les répartitions de services alors qu’aucun effectif ne sera stabilisé avant le 5 septembre ?

  • Pas de classement des vœux ? C’est au contraire un point faible,

- Cela va considérablement ralentir l’appel des candidats dans chacune des filières. Certains candidats ne connaitront que très tardivement (début septembre!) leur affectation finale, avec toutes les conséquences que cela peut entraîner : renoncement à une filière préférée mais toujours en attente, oublis ou ratés pour réactiver les filières toujours en attente, problèmes pour trouver un logement, etc.

- De plus, l’algorithme de gestion des réponses des établissements utilisé par ParcourSup n’utilise aucun classement des vœux par les lycéens. Celui-ci leur est demandé, mais il ne sera utilisé que pour les candidats sans aucune réponse positive à la date du 5 septembre et qui pourront donc avoir recours à la commission d’appel gérée par le Recteur.

  • Des propositions personnalisées adaptées au profil du candidat ?

Seulement pour ceux qui n’auront fait aucune erreur de parcours (par exemple, oublier de réactiver un vœu toujours en attente …) et qui, soit recevront des premières réponses favorables conformes à leurs souhaits, soit auront eu le courage et l’optimisme de patienter pour obtenir des réponses positives plus tardives mais plus conformes à leurs préférences !

Vue des établissements

  • Un dispositif ingérable étant donné le nombre de dossiers en jeu (10 candidatures par lycéen), et inutile pour toutes les filières qui n’étaient jusqu’ici pas en tension.
  • Un travail gigantesque demandé aussi bien

- aux enseignants du secondaire : 1 avis par vœu de chaque élève de terminale par le conseil de classe du second trimestre de terminale, qui ne sera sans doute pas pris en compte …

- qu’à ceux du supérieur : une exigence d’examen et de classement de tous les dossiers, même quand il n’y a pas de besoin de limiter le nombre de candidatures effectives car le nombre de places disponibles est suffisant ! Et tout ça, sans moyens supplémentaires !

  • Un « outil d’aide à la décision » : de quoi s’agit-il ? D’un moyen d’implanter dans ParcourSup des calculs automatiques pour « aider » au classement sans forcément avoir à « ouvrir » tous les dossiers. En gros, il permet à chaque filière de calculer une moyenne en choisissant telle ou telle matière du lycée, en première et/ou en terminale, et ceci en fonction du type de bac. Cet outil permet par exemple de faire la moyenne de notes de LV1 et LV2 … sans savoir quelles sont précisément la LV1 et la LV2 en question. Très pratique pour recruter des étudiants en espagnol… à partir de leurs notes en anglais et allemand ! En outre, le classement ne peut pas relever uniquement d’un algorithme, le ministère l’a clairement précisé (après rappel de la loi de la CNIL sur ce point) : toutes les pièces du dossier doivent être lues !
  • Les réponses « oui si » : c’est la « carotte » du projet.

Évidemment, aucun enseignant ne serait opposé à avoir des moyens supplémentaires pour mieux aider et accompagner les étudiants les plus en difficulté de sa filière !

- Encore faudrait-il y travailler suffisamment à l’avance pour construire collectivement un vrai projet pédagogique, qui ait du sens pour la filière et le public concerné et avoir la garantie d’obtenir les moyens nécessaires pour la mise en œuvre.

- Lorsque cela existe déjà, il n’y a pas eu besoin de ParcourSup pour y penser et souvent, la pérennité des dispositifs est compromise faute de moyens financiers et en postes.

- Des tests réalisés après la rentrée ou les premiers résultats du premier semestre sont beaucoup plus pertinents que des notes de lycée pour identifier les lacunes, les points à consolider et les dispositifs d’aide à mettre en œuvre.

- L’obligation faite aux lycéens, qui acceptent une proposition « oui si », de suivre les dispositifs d’accompagnement (d’ailleurs pas forcément précisés) qui vont avec est une modalité bien connue pour être beaucoup moins efficace que l’adhésion que l’on peut obtenir, une fois l’étudiant inscrit, en lui présentant des dispositifs adaptés aux difficultés réellement dépistées.

  • « ParcourSup ce n’est pas de la sélection, mais la mise en place d’un dispositif pour une plus large réussite à l’université. »

- Eh bien non ! Même si une université décide de ne répondre que des « oui » aux candidats qui postulent dans ses filières, parce que celles-ci ne sont pas en tension, la loi oblige à interclasser tous les candidats entre eux et à n’appeler dans un premier temps que ceux qui se trouvent dans un rang inférieur à la « donnée d’appel ». Les étudiants qui se trouvent au-delà de cette valeur, qui est, par défaut, la capacité d’accueil, seront automatiquement placés, par l’application ParcourSup elle-même, « en attente ».

- La seule alternative pour éviter les dossiers « en attente » est que le Président de l’Université demande à ce que la « donnée d’appel » soit augmentée au niveau du nombre de dossiers reçus. Dans ce cas seulement, tous les candidats à la filière recevront un « oui » dès le premier jour et il suffira de les classer tous premiers ex-aequo.

- En outre, comme globalement le nombre de bacheliers augmente et que les places en université stagnent, au mieux, mécaniquement, certains candidats resteront « en attente » jusqu’au bout du processus, même si l’université leur avait répondu « oui » initialement !

  • « Le Recteur trouvera une place à tous les candidats restés en attente ».

Certes, mais le Recteur cherchera surtout à combler les trous des quelques filières déficitaires (s’il en reste), indépendamment des souhaits initiaux du candidat. La place proposée par le Recteur pourra donc être une place dans une filière à l’autre bout de l’académie, où le candidat devra trouver un logement en septembre, en même temps qu’il rattrapera les cours qu’il aura déjà commencé à rater, vue son affectation tardive dans une filière qui, peut-être, ne correspondait qu’à son dernier choix. Toutes conditions qui lui permettront évidemment une « plus large réussite à l’Université » !